La Vestale - Install-action Vidéo
La déesse Vesta est la personnification du feu sacré, celui du foyer domestique, comme celui de la cité. La vestale est la prêtresse de Vesta dans son temple de Rome. La vestale se devait d’être vierge et sa tâche principale était de veiller et d’entretenir le feu sacré dans le temple.
Le cercle de bronze translucide suspendu dans le vide fait allusion à l’autel sacré et au temple de Vesta, à Rome, qui était circulaire. Un cercle incandescent scelle le lieu de culte. Le verre teinté flotte dans les airs à mi-chemin entre ciel et terre, suspendu à ses fils invisibles, il perd sa matérialité.
Dans la noirceur, la faible lueur de la flamme précieuse trône sur l’autel aérien. L’écran transparent filtre la lumière dorée qui se dépose sur la fumée de l’encens. La fumée devient flamme et la flamme devient fumée. La seule source de lumière est celle du feu comme il se doit. Ce feu est virtuel, mais pourtant l’incandescence du sceptre d’encens est bien réelle. La fumée est telle et la flamme sacrée y trouve enfin l’instrument de son immanence.
L’encens de sauge représente le feu sacré. L’utilisation ésotérique du sauge est purificatoire, lorsqu’il est brûlé (en encens par exemple) cela purifie l’endroit. Le bâton d’encens est tige qui poursuit la tige effilée de son piédestal. La tige-encensoir se tend à la rencontre du grand verre sans pourtant le rencontrer ; seul l’encens établit le pont entre les deux mondes. La mince tige et la fumée de l’encens semble soutenir le disque, qui flotte entre ciel et terre. La fumée se reflète dans le verre qui l’accueil, elle se brise par vague et s’étend en onde dans une allusion liquide.
La projection vidéo du feu provient du plafond, projetée à la verticale, elle s’imprègne sur la vitre teintée, sur la fumée et sur le plancher circulaire de tissus noirs. L’écran noir au sol est le double du verre, il a pour objectif de rendre une image floue, indéfinie et moins claire, laissant l’attention principale sur la fumée illuminée. Le grand verre teinté reflète le feu vers le plafond ; l’image se décompose dans un vacillement de flamme et un mouvement d’eau reflété.
L’ambiance sonore est composée de murmures. Un mot latin est répété et superposé en écho. Devotio a plusieurs significations en français qui peuvent tous plus ou moins se rattacher à mon œuvre : Action de dévouer aux dieux infernaux ; sacrifice, dévouement (de quelqu’un). Enchantement, sortilège ; charme magique. Imprécation : malédiction. Vœu, prière. Dévouement, zèle, attachement (à quelqu’un). Dévotion aux dieux ; culte, piété. (dictionnaire latin-français). Ce sont les murmures dévotionnels du temple invisible. Une présence remplit l’espace vide autour de l’autel – la voix de la vestale se fait entendre. Les faibles murmures retracent l’essence du temple qui prend forme dans la dévotion, la prière et le culte. Ces murmures prédisposent au rituel.
La vestale de mon œuvre s’incarne, elle prend forme humaine dans le temple vide et face au feu sacré. Par mes vêtements et mes gestes, je deviens la vestale ; l’impersonnelle officiante du rituel.
Lentement l’encens se consume et le feu toujours court à sa perte par sa propre existence. À chaque heure, la flamme doit être entretenue pour qu’elle reste éternelle. À chaque heure, durant que mon installation fonctionne, j’inclus une action à mon installation. Cette action est un rituel que je fais en tant que vestale. Les gestes du rituel peuvent varier d’une fois à l’autre, par l’évolution et l’improvisation, mais la forme générale demeure la même. Premièrement, le traçage du cercle sacré du temple. Deuxièmement, la déclaration d’intention ; la première phrase en latin. Troisièmement, la consécration de l’encens et l’allumage. Ensuite, le remplacement de l’encens (l’allumette d’allumage et le vieux bâton d’encens sur mis dans le bol d’oblation situé à l’extérieur du cercle). Après, la déclaration de dévotion ; la deuxième phrase en latin. Dernièrement, la dissipation du cercle.
Dans le rituel performatif que j’exécute à chaque heure, je parle latin. Le latin étant la langue des Romains, par le fait même, la langue du culte de Vesta. C’est une langue morte, mais forte et chargée de son histoire, de son lien à la religion (celle des Romains ou celle du christianisme). Le rituel que je fais se veut magique et religieux, spirituel et mystique ; le fait de parler latin amplifie ce sentiment. Le spectateur ne parle pas latin et ne comprend normalement pas le sens de mes paroles ; le mystère et le sentiment occulte est total. Si je parlais français ou anglais, la signification serait claire et l’effet nul. Bien sûr, le fait que les spectateurs ne comprennent pas le sens des mots est assumé et reflète le fait que la majorité des gens ne puissent comprendre ou ressentir la spiritualité et le mysticisme qui m’habite. Voici l’incantation :
In occulto templo, virgo vestalis sum,
Quoniam eam quam amo in hoc mundo non est.
(Dans le temple caché, je suis la vierge vestale,
puisque celle que j’aime n’est pas de ce monde.)
Fida ancilla potentiarum sum,
In ignis sacri fonte religiose vigilo.
(Je suis la fidèle servante des puissances,
je veille consciencieusement sur la source du feu sacré.)
La Vestale est une œuvre qui se déploie dans le temps. Le feu sacré se doit symboliquement éternel, l’installation se voit donner la durée par le rituel ponctuel. La dévotion demande sacrifice et l’implication de l’être dans l’installation. Les heures s’avancent et l’encens se consume parmi les volutes de fumée portant son parfum. Les cendres de l’encens chutent lentement de la haute tour pour imperceptiblement s’accumuler sur le plancher de noirs tissus. Le vestige du feu dans la poussière du temps brûlé et retrouvé. Le rite s’actualise dans la poudre perdue de l’abandon. Le feu se voulant éternel pourtant s’éteindra à la fin, puisque l’install-action ne peut être éternelle.
« J’afficherai l’absence
aux portes des autels
que déserte le feu (…)»
Michel Journiac, Le Sang nu